Si les Français ont autant de répugnance que les Anglais
novembre 18, 2008

Si les Français ont autant de répugnance que les Anglais ont de propension pour les voyages, peut-être les Français et les Anglais ont-ils raison de part et d’autre. On trouve partout quelque chose de meilleur que l’Angleterre, tandis qu’il est excessivement difficile de retrouver loin de la France les charmes de la France. Les autres pays offrent d’admirables paysages, ils présentent souvent un confort supérieur à celui de la France, qui fait les plus lents progrès en ce genre. Ils déploient quelquefois une magnificence, une grandeur, un luxe étourdissants ; ils ne manquent ni de grâce ni de façons nobles, mais la vie de tête, l’activité d’idées, le talent de conversation et cet atticisme si familiers à Paris ; mais cette soudaine entente de ce qu’on pense et de ce qu’on ne dit pas, ce génie du sous-entendu, la moitié de la langue française, ne se rencontrent nulle part. Aussi le Français, dont la raillerie est déjà si peu comprise, se dessèche-t-il bientôt à l’étranger, comme un arbre déplanté. L’émigration est un contre-sens chez la nation française. Beaucoup de Français, de ceux dont il est ici question, avouent avoir revu les douaniers du pays natal avec plaisir, ce qui peut sembler l’hyperbole la plus osée du patriotisme.

Ce petit préambule a pour but de rappeler à ceux des Français qui ont voyagé le plaisir excessif qu’ils ont éprouvé quand, parfois, ils ont retrouvé toute la patrie, une oasis dans le salon de quelque diplomate ; plaisir que comprendront difficilement ceux qui n’ont jamais quitté l’asphalte du boulevard des Italiens, et pour qui la ligne des quais, rive gauche, n’est déjà plus Paris. Retrouver Paris ! savez-vous ce que c’est, ô Parisiens ?

Le mariage
novembre 18, 2008

Le mariage est fondé sur l’estime, sur des sacrifices faits de part et d’autre ; mais ni Octave ni moi nous ne pouvons nous estimer le lendemain de notre réunion : il m’aura déshonorée par quelque amour de vieillard pour une courtisane ; et moi, j’aurai la honte perpétuelle d’être une chose au lieu d’être une Dame. Je ne serai pas la vertu, je serai le plaisir dans sa maison. Voilà les fruits amers d’une faute. Je me suis fait un lit conjugal où je ne puis que me retourner sur des charbons, un lit sans sommeil. Ici, j’ai des heures de tranquillité, des heures pendant lesquelles j’oublie ; mais dans mon hôtel, tout me rappellera la tache qui déshonore ma robe d’épousée. Quand je souffre ici, je bénis mes souffrances, je dis à Dieu : Merci ! Mais chez lui, je serai pleine d’effroi, goûtant des joies qui ne me seront pas dues. Tout ceci, monsieur, n’est pas du raisonnement, c’est le sentiment d’une âme bien vaste, car elle est creusée depuis sept ans par la douleur. Enfin, dois-je vous faire cet épouvantable aveu ? Je me sens toujours le sein mordu par un enfant conçu dans l’ivresse et la joie, dans la croyance au bonheur, par un enfant que j’ai nourri pendant sept mois, de qui je serai grosse toute ma vie. Si de nouveaux enfants puisent en moi leur nourriture, ils boiront des larmes qui, mêlées à mon lait, le feront aigrir. J’ai l’apparence de la légèreté, je vous semble enfant… Oh ! oui, j’ai la mémoire de l’enfant, cette mémoire qui se retrouve aux abords de la tombe. Ainsi, vous le voyez, il n’est pas une situation dans cette belle vie, où le monde et l’amour d’un mari veulent me ramener, qui ne soit fausse, qui ne me cache des piéges, qui ne m’ouvre des précipices où je roule déchirée par des arêtes impitoyables. Voici cinq ans que je voyage dans les landes de mon avenir, sans y trouver une place commode à mon repentir, parce que mon âme est envahie par un vrai repentir.

En voyant l’effet de ses paroles
novembre 18, 2008

En voyant l’effet de ses paroles, elle m’a pris les mains, les a mises dans les siennes, et m’a dit : « Octave, je t’aime, mais autrement que tu veux être aimé : j’aime ton âme… Mais, sache-le, je t’aime assez pour mourir à ton service, comme une esclave d’Orient, et sans regret. Ce sera mon expiation. » Elle a fait plus, elle s’est mise à genoux sur un coussin, devant moi, et, dans un accès de charité sublime, m’a dit : – « Après tout, peut-être ne mourrai-je pas ?… »
Voici deux mois que je combats. Que faire ?… j’ai le cœur trop plein, j’ai cherché celui d’un ami pour y jeter ce cri : – Que faire ? »
Je ne répondis rien. Deux mois après les journaux annoncèrent l’arrivée, par un paquebot anglais, de la comtesse Octave rendue à sa famille, après des événements de voyage assez naturellement inventés pour que personne ne les contestât. A mon arrivée à Gênes, je reçus une lettre de faire part de l’heureux accouchement de la comtesse qui donnait un fils à son mari. Je tins la lettre dans mes mains pendant deux heures, sur cette terrasse, assis sur ce banc. Deux mois après, tourmenté par Octave, par messieurs de Grandville et de Sérizy, mes protecteurs, accablé par la perte que je fis de mon oncle, je consentis à me marier.
Six mois après la révolution de juillet, je reçus la lettre que voici et qui finit l’histoire de ce ménage.
« Monsieur Maurice, je meurs, quoique mère, et peut-être parce que je suis mère. J’ai bien joué mon rôle de femme : j’ai trompé mon mari, j’ai eu des joies aussi vraies que les larmes répandues au théâtre par les actrices.

Mais le coupé de madame
novembre 17, 2008

Mais le coupé de madame de Vandenesse prit le chemin du faubourg Saint-Honoré. Quand madame d’Espard rentra chez elle, elle vit la comtesse Félix continuant le faubourg pour gagner le chemin de la rue du Rocher. Marie se coucha sans pouvoir dormir, et passa la nuit à lire un voyage au pôle-nord sans y rien comprendre. A huit heures et demie, elle reçut une lettre de Raoul, et l’ouvrit précipitamment. La lettre commençait par ces mots classiques :
« Ma chère bien-aimée, quand tu tiendras ce papier, je ne serai plus. »
Elle n’acheva pas, elle froissa le papier par une contraction nerveuse, sonna sa femme de chambre, mit à la hâte un peignoir, chaussa les premiers souliers venus, s’enveloppa dans un châle, prit un chapeau ; puis elle sortit en recommandant à sa femme de chambre de dire au comte qu’elle était allée chez sa sœur, madame du Tillet.
– Où avez-vous laissé votre maître ? demanda-t-elle au domestique de Raoul.
– Au bureau du journal.
– Allons-y, dit-elle.
Au grand étonnement de sa maison, elle sortit à pied, avant neuf heures, en proie à une visible folie. Heureusement pour elle, la femme de chambre alla dire au comte que madame venait de recevoir une lettre de madame du Tillet qui l’avait mise hors d’elle, et venait de courir chez sa sœur, accompagnée du domestique qui lui avait apporté la lettre. Vandenesse attendit le retour de sa femme pour recevoir des explications. La comtesse monta dans un fiacre et fut rapidement menée au bureau du journal.

Faire monter de faux diamants
novembre 17, 2008

Faire monter de faux diamants ? son mari finirait par s’en apercevoir. Elle voulait aller demander la somme aux Rotschild qui avaient tant d’or, à l’archevêque de Paris qui devait secourir les pauvres, courant ainsi d’une religion à l’autre, implorant tout. Elle déplora de se voir en dehors du gouvernement ; jadis elle aurait trouvé son argent à emprunter aux environs du trône. Elle pensait à recourir à son père. Mais l’ancien magistrat avait en horreur les illégalités ; ses enfants avaient fini par savoir combien peu il sympathisait avec les malheurs de l’amour ; il ne voulait point en entendre parler, il était devenu misanthrope, il avait toute intrigue en horreur. Quant à la comtesse de Granville, elle vivait retirée en Normandie dans une de ses terres, économisant et priant, achevant ses jours entre des prêtres et des sacs d’écus, froide jusqu’au dernier moment. Quand Marie aurait eu le temps d’arriver à Bayeux, sa mère lui donnerait-elle tant d’argent sans savoir quel en serait l’usage ? Supposer des dettes ? oui, peut-être se laisserait-elle attendrir par sa favorite. Eh ! bien, en cas d’insuccès, la comtesse irait donc en Normandie. Le comte de Granville ne refuserait pas de lui fournir un prétexte de voyage en lui donnant le faux avis d’une grave maladie survenue à sa femme. Le désolant spectacle qui l’avait épouvantée le matin, les soins prodigués à Nathan, les heures passées an chevet de son lit, ces narrations entrecoupées, cette agonie d’un grand esprit, ce vol du génie arrêté par un vulgaire, par un ignoble obstacle, tout lui revint en mémoire pour stimuler son amour. Elle repassa ses émotions et se sentit encore plus éprise par les misères que par les grandeurs.

Assis au parterre
novembre 17, 2008

Assis au parterre, un voleur applaudit au triomphe de l’innocence et lui prendra ses bijoux en sortant. La Société refuse de calmer les maux qu’elle engendre ; elle décerne des honneurs aux habiles tromperies et n’a point de récompenses pour les dévouements ignorés. Je sais et vois tout cela ; mais si je ne puis réformer le monde, au moins est-il en mon pouvoir de te protéger contre toi-même. Il s’agit ici d’un homme qui ne t’apporte que des misères, et non d’un de ces amours saints et sacrés qui commandent parfois notre abnégation, qui portent avec eux des excuses. Peut-être ai-je eu le tort de ne pas diversifier ton bonheur, de ne pas opposer à de tranquilles plaisirs des plaisirs bouillants, des voyages, des distractions. Je puis d’ailleurs m’expliquer le désir qui t’a poussée vers un homme célèbre par l’envie que tu as causée à certaines femmes. Lady Dudley, madame d’Espard, madame de Manerville et ma belle-sœur Emilie sont pour quelque chose en tout ceci. Ces femmes, contre lesquelles je t’avais mise en garde, auront cultivé ta curiosité plus pour me faire chagrin que pour te jeter dans des orages qui, je l’espère, auront grondé sur toi sans t’atteindre.
En écoutant ces paroles empreintes de bonté, la comtesse fut eu proie à mille sentiments contraires ; mais cet ouragan fut dominé par une vive admiration pour Félix. Les âmes nobles et fières reconnaissent promptement la délicatesse avec laquelle on les manie. Ce tact est aux sentiments ce que la grâce est au corps. Marie apprécia cette grandeur empressée de s’abaisser aux pieds d’une femme en faute pour ne pas la voir rougissant. Elle s’enfuit comme une folle, et revint ramenée par l’idée de l’inquiétude que son mouvement pouvait causer à son mari.
– Attendez, lui dit-elle en disparaissant.

J’en ferai ma Béatrix
novembre 17, 2008

J’en ferai ma Béatrix.
– Mon cher, Béatrix était une petite fille de douze ans que Dante n’a plus revue ; sans cela aurait-elle été Béatrix ? Pour se faire d’une femme une divinité, nous ne devons pas la voir avec un mantelet aujourd’hui, demain avec une robe décolletée, après demain sur le boulevard, marchandant des joujoux pour son petit dernier. Quand on a Florine, qui tour à tour est duchesse de vaudeville, bourgeoise de drame, négresse, marquise, colonel, paysanne en Suisse, vierge du Soleil au Pérou, sa seule manière d’être vierge, je ne sais pas comment on s’aventure avec les femmes du monde.
Du Tillet, en terme de Bourse, exécuta Nathan, qui, faute d’argent, abandonna sa part dans le journal. L’homme célèbre n’eut pas plus de cinq voix dans le collége où le banquier fut élu.
Quand, après un long et heureux voyage en Italie, la comtesse de Vandenesse revint à Paris, l’hiver suivant, Nathan avait justifié toutes les prévisions de Félix : d’après les conseils de Blondet, il parlementait avec le pouvoir. Quant aux affaires personnelles de cet écrivain, elles étaient dans un tel désordre qu’un jour, aux Champ-Elysées, la comtesse Marie vit son ancien adorateur à pied, dans le plus triste équipage, donnant le bras à Florine. Un homme indifférent est déjà passablement laid aux yeux d’une femme ; mais quand elle ne l’aime plus, il paraît horrible, surtout lorsqu’il ressemble à Nathan. Madame de Vandenesse eut un mouvement de honte en songeant qu’elle s’était intéressée à Raoul. Si elle n’eût pas été guérie de toute passion extra-conjugale, le contraste que présentait alors le comte, comparé à cet homme déjà moins digne de la faveur publique, eût suffi pour lui faire préférer son mari à un ange.