Sa taille moyenne et son embonpoint
novembre 23, 2008

Sa taille moyenne et son embonpoint qui n’arrivait pas encore à l’obésité, deux obstacles à l’élégance personnelle, n’empêchaient point son extérieur d’aller à son rôle de Brummel bordelais. Un teint blanc rehaussé par la coloration de la santé, de belles mains, un joli pied, des yeux bleus à longs cils, des cheveux noirs, des mouvements gracieux, une voix de poitrine qui se tenait toujours au médium et vibrait dans le cœur, tout en lui s’harmoniait avec son surnom. Paul était bien cette fleur délicate qui veut une soigneuse culture, dont les qualités ne se déploient que dans un terrain humide et complaisant, que les façons dures empêchent de s’élever, que brûle un trop vif rayon de soleil, et que la gelée abat. Il était un de ces hommes faits pour recevoir le bonheur plus que pour le donner, qui tiennent beaucoup de la femme, qui veulent être devinés, encouragés, enfin pour lesquels l’amour conjugal doit avoir quelque chose de providentiel. Si ce caractère crée des difficultés dans la vie intime, il est gracieux et plein d’attraits pour le monde. Aussi Paul eut-il de grands succès dans le cercle étroit de la province, où son esprit, tout en demi-teintes, devait être mieux apprécié qu’à Paris. L’arrangement de son hôtel et la restauration du château de Lanstrac, où il introduisit le luxe et le comfort anglais, absorbèrent les capitaux que depuis six ans lui plaçait son notaire. Strictement réduit à ses quarante et quelques mille livres de rente, il crut être sage en ordonnant sa maison de manière à ne rien dépenser au delà. Quand il eut officiellement promené ses équipages, traité les jeunes gens les plus distingués de la ville, fait des parties de chasse avec eux dans son château restauré, Paul comprit que la vie de province n’allait pas sans le mariage.

La prudence d’un jeune homme
novembre 18, 2008

La prudence d’un jeune homme de vingt-cinq ans suffirait-elle aux ruses que j’entreprenais et où il s’agissait du bonheur d’un ami ? Pour résoudre cette question, je vous avoue que je comptai beaucoup sur mon oncle, car je fus autorisé par le comte à le mettre dans la confidence au cas où je jugerais son intervention nécessaire. Je pris un jardinier, je me fis fleuriste jusqu’à la manie, je m’occupai furieusement en homme que rien ne pouvait distraire, de défoncer le marais et d’en approprier le terrain à la culture des fleurs. De même que les maniaques de Hollande ou d’Angleterre je me donnai pour monofloriste. Je cultivai spécialement des dahlias en en réunissant toutes les variétés. Vous devinez que ma ligne de conduite, même dans ses plus légères déviations, était tracée par le comte dont toutes les forces intellectuelles furent alors attentives aux moindres événements de la tragi-comédie qui devait se jouer à Saint-Maur. Aussitôt la comtesse couchée, presque tous les soirs, entre onze heures et minuit, Octave, madame Gobain et moi nous tenions conseil. J’entendis la vieille rendant compte à Octave des moindres mouvements de sa femme pendant la journée ; il s’informait de tout, des repas, des occupations, de l’attitude, du menu du lendemain, des fleurs qu’elle se proposait d’imiter. Je compris ce qu’est un amour au désespoir, quand il se compose du triple amour qui procède de la tête, du cœur et des sens. Octave ne vivait que pendant cette heure. Pendant deux mois que durèrent les travaux, je ne jetai pas les yeux sur le pavillon où demeurait ma voisine. Je n’avais pas demandé seulement si j’avais une voisine, quoique le jardin de la comtesse et le mien fussent séparés par un palis, le long duquel elle avait fait planter des cyprès déjà hauts de quatre pieds.

Vous allez voir par la suite
novembre 18, 2008

Vous allez voir par la suite combien le comte avait vu juste en me choisissant ce rôle. – « Mais, qu’a-t-il ? demanda la comtesse. – Il a trop étudié, répondit la Gobain, il est devenu sauvage. Enfin, il a des raisons pour ne plus aimer les femmes… là, puisque vous voulez savoir tout ce qui se dit. – Eh ! bien, reprit Honorine, les fous m’effraient moins que les gens sages, je lui parlerai, moi ! dis-lui que je le prie de venir. Si je ne réussis pas, je verrai le curé. » Le lendemain de cette conversation, en me promenant dans mes allées tracées, j’entrevis au premier étage du pavillon les rideaux d’une fenêtre écartés et la figure d’une femme posée en curieuse. La Gobain m’aborda. Je regardai brusquement le pavillon et fis un geste brutal, comme si je disais : – Eh ! je me moque bien de votre maîtresse ! – « Madame, dit la Gobain, qui revint rendre compte de son ambassade, le fou m’a priée de le laisser tranquille, en prétendant que charbonnier était maître chez soi, surtout quand il était sans femme. – Il a deux fois raison, répondit la comtesse. – Oui, mais il a fini par me répondre : « J’irai ! » quand je lui ai répondu qu’il ferait le malheur d’une personne qui vivait dans la retraite, et qui puisait de grandes distractions dans la culture des fleurs. » Le lendemain, je sus par un signe de la Gobain qu’on attendait ma visite. Après le déjeuner de la comtesse, au moment où elle se promenait devant son pavillon, je brisai le palis et je vins à elle. J’étais mis en campagnard : vieux pantalon à pied en molleton gris, gros sabots, vieille veste de chasse, casquette en tête, méchant foulard au cou, les mains salies de terre, et un plantoir à la main. – « Madame, c’est le monsieur qui est votre voisin ! » cria la Gobain.

Les masses de fleurs
novembre 18, 2008

Les masses de fleurs, étagées avec une science de fleuriste ou disposées en bouquets, produisaient des effets doux à l’âme. Ce jardin recueilli, solitaire, exhalait des baumes consolateurs et n’inspirait que de douces pensées, des images gracieuses, voluptueuses même. On y reconnaissait cette ineffaçable signature que notre vrai caractère imprime en toutes choses quand rien ne nous contraint d’obéir aux diverses hypocrisies, d’ailleurs nécessaires, qu’exige la Société. Je regardais alternativement le monceau de narcisses et la comtesse, en paraissant plus amoureux des fleurs que d’elle, pour jouer mon rôle. – « Vous aimez donc bien les fleurs ? me dit-elle. – C’est, lui dis-je, les seuls êtres qui ne trompent pas nos soins et notre tendresse. » Je fis une tirade si violente en établissant un parallèle entre la botanique et le monde, que nous nous trouvâmes à mille lieues du mur mitoyen, et que la comtesse dut me prendre pour un être souffrant, blessé, digne de pitié. Néanmoins, après une demi-heure, ma voisine me ramena naturellement à la question, car les femmes, quand elles n’aiment pas, ont toutes le sang-froid d’un vieil avoué. – « Si vous voulez laisser subsister le palis, lui dis-je, vous apprendrez tous les secrets de culture que je veux cacher, car je cherche le dalhia bleu, la rose bleue, je suis fou des fleurs bleues. Le bleu n’est-il pas la couleur favorite des belles âmes ? Nous ne sommes ni l’un ni l’autre chez nous : autant vaudrait y mettre une petite porte à claire-voie qui réunirait nos jardins… Vous aimez les fleurs, vous verrez les miennes, je verrai les vôtres. Si vous ne recevez personne, je ne suis visité que par mon oncle, le curé des Blancs-Manteaux. – Non, dit-elle, je ne veux donner à personne le droit d’entrer dans mon jardin, chez moi, à toute heure.