Archive for the ‘La Paix du ménage’ Category

Madame Evangélista
novembre 22, 2008

Madame Evangélista le reconduisit jusqu’à la porte du dernier salon, et lui dit à l’oreille : – J’ai maintenant pour deux cent cinquante mille francs de valeurs ; si j’ai deux cent mille francs à moi sur le prix de la maison, je puis réunir quatre cent cinquante mille francs de capitaux. Je veux en tirer le meilleur parti possible, et compte sur vous pour cela. Je resterai probablement à Lanstrac.
Le jeune notaire baisa la main de sa cliente avec un geste de reconnaissance ; car l’accent de la veuve fit croire à Solonet que cette alliance, conseillée par les intérêts, allait s’étendre un peu plus loin.
– Vous pouvez compter sur moi, dit-il, je vous trouverai des placements sur marchandises où vous ne risquerez rien et où vous aurez des gains considérables…
– A demain, dit-elle, car vous êtes notre témoin avec monsieur le marquis de Gyas.
– Pourquoi, chère mère, dit Paul, refusez-vous de venir à Paris ? Natalie me boude, comme si j’étais la cause de votre résolution.
– J’ai bien pensé à cela, mes enfants, je vous gênerais. Vous vous croiriez obligés de me mettre en tiers dans tout ce que vous feriez, et les jeunes gens ont des idées à eux que je pourrais involontairement contrarier. Allez seuls à Paris. Je ne veux pas continuer sur la comtesse de Manerville la douce domination que j’exerçais sur Natalie, il faut vous la laisser tout entière. Voyez-vous, il existe entre nous deux, Paul, des habitudes qu’il faut briser.

Dédié à ma chère nièce
novembre 20, 2008

Dédié à ma chère nièce, Valentine Surville.

L’aventure retracée
novembre 20, 2008

L’aventure retracée par cette Scène se passa vers la fin du mois de novembre 1809, moment où le fugitif empire de Napoléon atteignit à l’apogée de sa splendeur. Les fanfares de la victoire de Wagram retentissaient encore au cœur de la monarchie autrichienne. La paix se signait entre la France et la Coalition. Les rois et les princes vinrent alors, comme des astres, accomplir leurs évolutions autour de Napoléon qui se donna le plaisir d’entraîner l’Europe à sa suite, magnifique essai de la puissance qu’il déploya plus tard à Dresde.
Jamais, au dire des contemporains, Paris ne vit de plus belles fêtes que celles qui précédèrent et suivirent le mariage de ce souverain avec une archiduchesse d’Autriche ; jamais aux plus grands jours de l’ancienne monarchie autant de têtes couronnées ne se pressèrent sur les rives de la Seine, et jamais l’aristocratie française ne fut aussi riche ni aussi brillante qu’alors. Les diamants répandus à profusion sur les parures, les broderies d’or et d’argent des uniformes contrastaient si bien avec l’indigence républicaine, qu’il semblait voir les richesses du globe roulant dans les salons de Paris. Une ivresse générale avait comme saisi cet empire d’un jour. Tous les militaires, sans en excepter leur chef, jouissaient en parvenus des trésors conquis par un million d’hommes à épaulettes de laine dont les exigences étaient satisfaites avec quelques aunes de ruban rouge. A cette époque, la plupart des femmes affichaient cette aisance de mœurs et ce relâchement de morale qui signalèrent le règne de Louis XV. Soit pour imiter le ton de la monarchie écroulée, soit que certains membres de la famille impériale eussent donné l’exemple, ainsi que le prétendaient les frondeurs du faubourg Saint-Germain, il est certain que, hommes et femmes, tous se précipitaient dans le plaisir avec une intrépidité qui semblait présager la fin du monde.

Mais il existait alors une autre raison
novembre 20, 2008

Mais il existait alors une autre raison de cette licence. L’engouement des femmes pour les militaires devint comme une frénésie et concorda trop bien aux vues de l’empereur, pour qu’il y mît un frein. Les fréquentes prises d’armes qui firent ressembler tous les traités conclus entre l’Europe et Napoléon à des armistices, exposaient les passions à des dénoûments aussi rapides que les décisions du chef suprême de ces kolbacs, de ces dolmans et de ces aiguillettes qui plurent tant au beau sexe. Les cœurs furent donc alors nomades comme les régiments. D’un premier à un cinquième bulletin de la Grande-Armée, une femme pouvait être successivement amante, épouse, mère et veuve. Etait-ce la perspective d’un prochain veuvage, celle d’une dotation, ou l’espoir de porter un nom promis à l’Histoire, qui rendirent les militaires si séduisants ? Les femmes furent-elles entraînées vers eux par la certitude que le secret de leurs passions serait enterré sur les champs de bataille, ou doit-on chercher la cause de ce doux fanatisme dans le noble attrait que le courage a pour elles ? peut-être ces raisons, que l’historien futur des mœurs impériales s’amusera sans doute à peser, entraient-elles toutes pour quelque chose dans leur facile promptitude à se livrer aux amours. Quoi qu’il en puisse être, avouons-le-nous ici : les lauriers couvrirent alors bien des fautes, les femmes recherchèrent avec ardeur ces hardis aventuriers qui leur paraissaient de véritables sources d’honneurs, de richesses ou de plaisirs, et aux yeux des jeunes filles une épaulette cet hiéroglyphe futur, signifia bonheur et liberté. Un trait de cette époque unique dans nos annales et qui la caractérise, fut une passion effrénée pour tout ce qui brillait : jamais on ne donna tant de feux d’artifice, jamais le diamant n’atteignit à une si grande valeur.

Les hommes aussi avides que les femmes
novembre 20, 2008

Les hommes aussi avides que les femmes de ces cailloux blancs s’en paraient comme elles. Peut-être l’obligation de mettre le butin sous la forme la plus facile à transporter mit-elle les joyaux en honneur dans l’armée. Un homme n’était pas aussi ridicule qu’il le serait aujourd’hui, quand le jabot de sa chemise ou ses doigts offraient aux regards de gros diamants. Murat, homme tout oriental, donna l’exemple d’un luxe absurde chez les militaires modernes.
Le comte de Gondreville, l’un des Lucullus de ce Sénat Conservateur qui ne conserva rien, n’avait retardé sa fête en l’honneur de la paix que pour mieux faire sa cour à Napoléon en s’efforçant d’éclipser les flatteurs par lesquels il avait été prévenu. Les ambassadeurs de toutes les puissances amies de la France sous bénéfice d’inventaire, les personnages les plus importants de l’Empire, quelques princes même, étaient en ce moment réunis dans les salons de l’opulent sénateur. La danse languissait, chacun attendait l’empereur dont la présence était promise par le comte. Napoléon aurait tenu parole sans la scène qui éclata le soir même entre Joséphine et lui, scène qui révéla le prochain divorce de ces augustes époux. La nouvelle de cette aventure, alors tenue fort secrète, mais que l’histoire recueillait, ne parvint pas aux oreilles des courtisans, et n’influa pas autrement que par l’absence de Napoléon sur la gaieté de la fête du comte de Gondreville. Les plus jolies femmes de Paris, empressées de se rendre chez lui sur la foi du ouï-dire, y faisaient en ce moment assaut de luxe, de coquetterie, de parure et de beauté. Orgueilleuse de ses richesses, la banque y défiait ces éclatants généraux et ces grands-officiers de l’empire nouvellement gorgés de croix, de titres et de décorations.

Ces grands bals
novembre 20, 2008

Ces grands bals étaient toujours des occasions saisies par de riches familles pour y produire leurs héritières aux yeux des prétoriens de Napoléon, dans le fol espoir d’échanger leurs magnifiques dots contre une faveur incertaine. Les femmes qui se croyaient assez fortes de leur seule beauté venaient en essayer le pouvoir. Là, comme ailleurs, le plaisir n’était qu’un masque. Les visages sereins et riants, les fronts calmes y couvraient d’odieux calculs ; les témoignages d’amitié mentaient, et plus d’un personnage se défiait moins de ses ennemis que de ses amis. Ces observations étaient nécessaires pour expliquer les événements du petit imbroglio, sujet de cette Scène, et la peinture, quelque adoucie qu’elle soit, du ton qui régnait alors dans les salons de Paris.
– Tournez un peu les yeux vers cette colonne brisée qui supporte un candélabre, apercevez-vous une jeune femme coiffée à la chinoise ? là, dans le coin, à gauche, elle a des clochettes bleues dans le bouquet de cheveux châtains qui retombe en gerbes sur sa tête. Ne voyez-vous pas ? elle est si pâle qu’on la croirait souffrante, elle est mignonne et toute petite ; maintenant, elle tourne la tête vers nous ; ses yeux bleus, fendus en amande et doux à ravir, semblent faits exprès pour pleurer. Mais, tenez donc ! elle se baisse pour regarder madame de Vaudremont à travers ce dédale de têtes toujours en mouvement dont les hautes coiffures lui interceptent la vue.
– Ah ! j’y suis, mon cher. Tu n’avais qu’à me la désigner comme la plus blanche de toutes les femmes qui sont ici, je l’aurais reconnue, je l’ai déjà bien remarquée ; elle a le plus beau teint que j’aie jamais admiré.

D’ici, je te défie
novembre 20, 2008

D’ici, je te défie de distinguer sur son cou les perles qui séparent chacun des saphirs de son collier. Mais elle doit avoir ou des mœurs ou de la coquetterie, car à peine les ruches de son corsage permettent-elles de soupçonner la beauté des contours. Quelles épaules ! quelle blancheur de lis !
– Qui est-ce, demanda celui qui avait parlé le premier.
– Ah ! je ne sais pas.
– Aristocrate ! Vous voulez donc, Montcornet, les garder toutes pour vous.
– Cela te sied bien de me goguenarder ! reprit Montcornet en souriant. Te crois-tu le droit d’insulter un pauvre général comme moi, parce que, rival heureux de Soulanges, tu ne fais pas une seule pirouette qui n’alarme madame de Vaudremont ? ou bien est-ce parce que je ne suis arrivé que depuis un mois dans la terre promise ? Etes-vous insolents, vous autres administrateurs qui restez collés sur vos chaises pendant que nous sommes au milieu des obus ! Allons, monsieur le maître des requêtes, laissez-nous glaner dans le champ dont la possession précaire ne vous reste qu’au moment où nous le quittons. Hé ! diantre, il faut que tout le monde vive ! Mon ami, si tu connaissais les Allemandes, tu me servirais, je crois, auprès de la Parisienne qui t’est chère.
– Général, puisque vous avez honoré de votre attention cette femme que j’aperçois ici pour la première fois, ayez donc la charité de me dire si vous l’avez vue dansant.
– Eh ! mon cher Martial, d’où viens-tu ? Si l’on t’envoie en ambassade, j’augure mal de tes succès.

Ne vois-tu pas trois rangées
novembre 20, 2008

Ne vois-tu pas trois rangées des plus intrépides coquettes de Paris entre elle et l’essaim de danseurs qui bourdonne sous le lustre, et ne t’a-t-il pas fallu l’aide de ton lorgnon pour la découvrir à l’angle de cette colonne où elle semble enterrée dans l’obscurité malgré les bougies qui brillent au-dessus de sa tête ? Entre elle et nous, tant de diamants et tant de regards scintillent, tant de plumes flottent, tant de dentelles, de fleurs et de tresses ondoient, que ce serait un vrai miracle si quelque danseur pouvait l’apercevoir au milieu de ces astres. Comment, Martial, tu n’as pas deviné la femme de quelque sous-préfet de la Lippe ou de la Dyle qui vient essayer de faire un préfet de son mari ?
– Oh ! il le sera, dit vivement le maître des requêtes.
– J’en doute, reprit le colonel de cuirassiers en riant, elle paraît aussi neuve en intrigue que tu l’es en diplomatie. Je gage, Martial, que tu ne sais pas comment elle se trouve là.
Le maître des requêtes regarda le colonel des cuirassiers de la garde d’un air qui décelait autant de dédain que de curiosité.
– Eh bien ! dit Montcornet en continuant, elle sera sans doute arrivée à neuf heures précises, la première, peut-être, et probablement aura fort embarrassé la comtesse de Gondreville, qui ne sait pas coudre deux idées. Rebutée par la dame du logis, repoussée de chaise en chaise par chaque nouvelle arrivée jusque dans les ténèbres de ce petit coin, elle s’y sera laissé enfermer, victime de la jalousie de ces dames, qui n’auront pas demandé mieux que d’ensevelir ainsi cette dangereuse figure.

Elle n’aura pas eu d’ami
novembre 20, 2008

Elle n’aura pas eu d’ami pour l’encourager à défendre la place qu’elle a dû occuper d’abord sur le premier plan, chacune de ces perfides danseuses aura intimé l’ordre aux hommes de sa coterie de ne pas engager notre pauvre amie, sous peine des plus terribles punitions. Voilà, mon cher, comment ces minois si tendres, si candides en apparence, auront formé leur coalition contre l’inconnue ; et cela, sans qu’aucune de ces femmes-là se soit dit autre chose que : – Connaissez-vous, ma chère, cette petite dame bleue ? Tiens, Martial, si tu veux être accablé en un quart d’heure de plus de regards flatteurs et d’interrogations provocantes que tu n’en recevras peut-être dans toute ta vie, essaie de vouloir percer le triple rempart qui défend la reine de la Dyle, de la Lippe ou de la Charente. Tu verras si la plus stupide de ces femmes ne saura pas inventer aussitôt une ruse capable d’arrêter l’homme le plus déterminé à mettre en lumière notre plaintive inconnue. Ne trouves-tu pas qu’elle a un peu l’air d’une élégie ? – Vous croyez, Montcornet ? Ce serait donc une femme mariée ?
– Pourquoi ne serait-elle pas veuve.
– Elle serait plus active, dit en riant le maître des requêtes.
– Peut-être est-ce une veuve dont le mari joue à la bouillotte, répliqua le beau cuirassier.
– En effet, depuis la paix, il se fait tant de ces sortes de veuves ! répondit Martial. Mais, mon cher Montcornet, nous sommes deux niais. Cette tête exprime encore trop d’ingénuité, il respire encore trop de jeunesse et de verdeur sur le front et autour des tempes, pour que ce soit une femme.

Quels vigoureux tons de carnation
novembre 20, 2008

Quels vigoureux tons de carnation ! rien n’est flétri dans les méplats du nez. Les lèvres, le menton, tout dans cette figure est frais comme un bouton de rose blanche, quoique la physionomie en soit comme voilée par les nuages de la tristesse. Qui peut faire pleurer cette jeune personne ?
Les femmes pleurent pour si peu de chose, dit le colonel.
– Je ne sais, reprit Martial, mais elle ne pleure pas d’être là sans danser, son chagrin ne date pas d’aujourd’hui ; l’on voit qu’elle s’est faite belle pour ce soir par préméditation. Elle aime déjà, je le parierais.
– Bah ! peut-être est-ce la fille de quelque princillon d’Allemagne, personne ne lui parle, dit Montcornet.
– Ah ! combien une pauvre fille est malheureuse, reprit Martial. A-t-on plus de grâce et de finesse que notre petite inconnue ? Eh ! bien, pas une des mégères qui l’entourent et qui se disent sensibles ne lui adressera la parole. Si elle parlait, nous verrions si ses dents sont belles.
– Ah çà ! tu t’emportes donc comme le lait à la moindre élévation de température ? s’écria le colonel un peu piqué de rencontrer si promptement un rival dans son ami.
– Comment ! dit le maître des requêtes sans s’apercevoir de l’interrogation du général et en dirigeant son lorgnon sur tous les personnages qui les entouraient, comment ! personne ici ne pourra nous nommer cette fleur exotique ?
– Eh ! c’est quelque demoiselle de compagnie, lui dit Montcornet.