Aussi n’ai-je pu te considérer que comme une passion malheureuse. Hé ! bien, foi d’homme, dans les circonstances actuelles tu joues le beau rôle, et tu n’as rien perdu de ton crédit auprès de moi, comme tu pourrais le croire. Si j’admire les grands fourbes, j’estime et j’aime les gens trompés. A propos de ce médecin qui a si mal fini, conduit à l’échafaud par son amour pour une maîtresse, je t’ai raconté l’histoire bien autrement belle de ce pauvre avocat qui vit, dans je ne sais quel bagne, marqué pour un faux, et qui voulait donner à sa femme, une femme adorée aussi ! trente mille livres de rentes ; mais que sa femme a dénoncé pour se débarrasser de lui et vivre avec un monsieur. Tu t’es récrié, toi et quelques niais qui soupaient avec nous. Eh ! bien, mon cher, tu es l’avocat, moins le bagne. Tes amis ne te font pas grâce de la considération qui, dans notre société, vaut un jugement de cour d’assises. La sœur des deux Vandenesse, la marquise de Listomère et toute sa coterie où s’est enrégimenté le petit Rastignac,- un drôle qui commence à percer ; madame d’Aiglemont et son salon où règne Charles de Vandenesse, les Lenoncourt, la comtesse Féraud, madame d’Espard, les Nucingen, l’ambassade d’Espagne, enfin tout un monde soufflé fort habilement te couvre d’accusations boueuses. Tu es un mauvais sujet, un joueur, un débauché qui as mangé stupidement ta fortune. Après avoir payé tes dettes plusieurs fois, ta femme, un ange de vertu ! vient d’acquitter cent mille francs de lettres de change, quoique séparée de biens. Heureusement tu t’es rendu justice en disparaissant. Si tu avais continué, tu l’aurais mise sur la paille, elle eût été victime de son dévouement conjugal. Quand un homme arrive au pouvoir, il a toutes les vertus d’une épitaphe ; qu’il tombe dans la misère, il a plus de vices que n’en avait l’enfant prodigue : tu ne saurais imaginer combien le monde te prête de péchés à la Don Juan.
Aussi n’ai-je pu te considérer
novembre 22, 2008
Vous ne serez jamais rien
novembre 20, 2008
Les communications étaient sévèrement gardées
novembre 17, 2008
Les communications étaient sévèrement gardées entre ces pauvres enfants. D’ailleurs, quand le comte faisait sortir ses fils du collége, il se gardait bien de les tenir au logis. Ces deux garçons y venaient déjeuner avec leur mère et leurs sœurs ; puis le magistrat les amusait par quelque partie au dehors : le restaurateur, les théâtres les musées, la campagne dans la saison, défrayaient leurs plaisirs. Excepté les jours solennels dans la vie de famille, comme la fête de la comtesse ou celle du père, les premiers jours de l’an, ceux de distribution des prix où les deux garçons demeuraient au logis paternel et y couchaient, fort gênés, n’osant pas embrasser leurs sœurs surveillées par la comtesse qui ne les laissait pas un instant ensemble, les deux pauvres filles virent si rarement leurs frères qu’il ne put y avoir aucun lien entre eux. Ces jours-là, les interrogations : – Où est Angélique ? – Que fait Eugénie ? – Où sont mes enfants ? s’entendaient à tout propos. Lorsqu’il était question de ses deux fils, la comtesse levait au ciel ses yeux froids et macérés comme pour demander pardon à Dieu de ne pas les avoir arrachés à l’impiété. Ses exclamations, ses réticences à leur égard, équivalaient aux plus lamentables versets de Jérémie et trompaient les deux sœurs qui croyaient leurs frères pervertis et à jamais perdus. Quand ses fils eurent dix-huit ans, le comte leur donna deux chambres dans son appartement, et leur fit faire leur droit en les plaçant sous la surveillance d’un avocat, son secrétaire, chargé de les initier aux secrets de leur avenir. Les deux Marie ne connurent donc la fraternité qu’abstraitement. A l’époque des mariages de leurs sœurs, l’un Avocat-Général à une cour éloignée, l’autre à son début en province, furent retenus chaque fois par un grave procès.
L’œuvre faite
novembre 17, 2008
Florine connaissait l’oncle
novembre 17, 2008
A vos poches
novembre 17, 2008
Ainsi va le monde littéraire
novembre 17, 2008
Ainsi va le monde littéraire. On n’y aime que ses inférieurs. Chacun est l’ennemi de quiconque tend à s’élever. Cette envie générale décuple les chances des gens médiocres, qui n’excitent ni l’envie ni le soupçon, font leur chemin à la manière des taupes, et, quelque sots qu’ils soient, se trouvent casés au Moniteur dans trois ou quatre places au moment où les gens de talent se battent encore à la porte pour s’empêcher d’entrer. La sourde inimitié de ces prétendus amis, que Florine aurait dépistée avec la science innée des courtisanes pour deviner le vrai entre mille hypothèses, n’était pas le plus grand danger de Raoul. Ses deux associés, Massol l’avocat et du Tillet le banquier, avaient médité d’atteler son ardeur au char dans lequel ils se prélassaient, de l’évincer dès qu’il serait hors d’état de nourrir le journal, ou de le priver de ce grand pouvoir au moment où ils voudraient en user. Pour eux, Nathan représentait une certaine somme à dévorer, une force littéraire de la puissance de dix plumes à employer. Massol, un de ces avocats qui prennent la faculté de parler indéfiniment pour de l’éloquence, qui possèdent le secret d’ennuyer en disant tout, la peste des assemblées où ils rapetissent toute chose, et qui veulent devenir des personnages à tout prix, ne tenait plus à être garde des sceaux ; il en avait vu passer cinq à six en quatre ans, il s’était dégoûté de la simarre. Comme monnaie du portefeuille, il voulut une chaire dans l’Instruction Publique, une place au conseil d’état, le tout assaisonné de la croix de la Légion-d’Honneur. Du Tillet et le baron de Nucingen lui avaient garanti la croix et sa nomination de maître des requêtes s’il entrait dans leurs vues ; il les trouva plus en position de réaliser leurs promesses que Nathan, et il leur obéissait aveuglément.